Life Project Plan
Depuis 12 ans, LP4Y expérimente, innove, et encourage toute initiative en faveur de l'inclusion des jeunes adultes. Ces années d'expériences ont permis le développement de la pédagogie appliquée dans les centres, voulue réplicable, pour pouvoir mettre en œuvre le modèle partout, et par tout le monde.
Parmi les outils pédagogiques développés pour les jeunes, les LPPP (Life Project Plan Presentation) en sont un des piliers. Au cours de leur cursus de six mois, les jeunes présentent devant leur coach et l'équipe de volontaires leur Life Project Plan. C'est l'occasion pour eux d'expliquer d'où ils viennent et pourquoi ils ont rejoint LP4Y, de dévoiler leurs succès et talents, de mettre des mots sur les épreuves qu'ils ont traversées, et de préparer leur nouvelle vie. Tout cela devant l'équipe de volontaires, et la trentaine de jeunes qui posent leurs questions à la fin de la présentation. Une épreuve pour beaucoup de se dévoiler devant tant de monde, une délivrance pour d'autres de pouvoir exprimer leurs doutes et difficultés, et un grand moment d'inspiration pour tous les participants devant les témoignages de chacun.
Après un évènement fort en émotion fin novembre avec les jeunes, les volontaires de toutes les Philippines se sont rassemblés en ce début d'année, à l'initiative d'Albane notre coordinatrice, pour dévoiler leur propre LPPP.
Premier pays hôte d'LP4Y, les Philippines comptent aujourd'hui sept centres dont un dédié aux sourds muets et deux autres accompagnant les jeunes détenus au sein de la prison d'Iligan et de Cebu. Dans ces centres, quinze volontaires sont philippins et onze français.
Une collègue me faisait remarquer l'homogénéité du milieu dont les volontaires sont issus à LP4Y : fils de médecin et diplômés grandes écoles. Constat contesté par un autre volontaire, bien qu'ingénieur de formation, affirmant venir d'un milieu modeste. Pour ma part, j'ai le sentiment de ne pas avoir vécu aux côtés de Français d'horizons aussi variés depuis la classe de CE1, en école publique dans l'est parisien.
Nos homologues philippins, aux parcours tous aussi divers (journalistes, enseignants, mais aussi ancien Jeune à LP4Y), montraient tous une réelle envie de lutter contre la pauvreté, l'exclusion, et le manque d'éducation. On pouvait lire dans leurs témoignages la réalité du terrain. Leur engagement pour la cause des jeunes exclus est souvent le résultat de leur vécu ou le fait d'avoir vu de près cette pauvreté. Il m'aura fallu cette journée pour découvrir les histoires de chacun de ces volontaires, et j'en remercie Albane pour sa persévérance dans l'organisation de cette journée (rassembler les 25 volontaires des quatre coins des Philippines en ce début d'année rattrapé par le Covid et les dégâts du typhon n'est pas une mince affaire).
Là où la démarche de s'engager à LP4Y est pour beaucoup de Français une quête de sens, les Philippins semblaient vivre cette cause dans leur chair. L'émotion, palpable, les larmes et le stress durant certaines présentations en témoignaient.
Je pense bien sûr à Mariechu, ancienne Jeune à LP4Y et mère de deux enfants dès l'âge de quinze ans, qui par son témoignage a réussi à nous faire rire et pleurer. S'étant mise à l'écart pendant les présentations des autres, elle commence son témoignage par un mot d'excuse en expliquant son besoin de s'isoler et d'évacuer son stress avant de nous présenter son histoire. Une fois sur scène, maniant aussi bien l'humour que le dramatique, elle nous frappe par son courage et son authenticité.
"All my dreams felt down when I became a mum" nous lâche-t-elle juste après s'être présentée. Ne pouvant retenir ses larmes, elle nous confie à quel point son manque d'éducation l'a condamnée, à l'âge de treize ans, à changer de vie. Education qui, on le verra au cours de la journée, est un sujet commun à la majorité des Catalysts et pour cause, la plupart rêvent un jour de reprendre leurs études. Mariechu a échappé au mariage grâce à sa mère, qui l'a défendue auprès de son conjoint et sa belle-famille qui voulaient à tout prix suivre le traditionnel ordre des choses après ce genre d'évènement. Avoir surmonté ces épreuves rend Mariechu forte comme un roc, mais en tant que mère de deux enfants, sa peur revient lorsqu'elle les entend dire "We love you Mum, we want to be like you.". L'ainée, 12 ans, s'affirme lesbienne et la seconde s'apparente à une "naugthy girl". Mariechu les accepte bien évidemment telles qu'elles sont, mais ne souhaite qu'une chose : qu'elles ne reproduisent pas les erreurs de leur mère, et elle se questionne sur comment les mener sur le bon chemin.
| Mariechu “Don’t be afraid of failure, because failure will lead you to success” |
Aujourd'hui Project Manager du Stars Club, le réseau d'ancien jeunes d'LP4Y, son rêve comme beaucoup d'autres est de reprendre des études, avoir sa propre maison et continuer à plaider la cause des plus exclus. Les études sont un rêve pour beaucoup dans la pièce et on se souvient que pour nous, l'unique difficulté fut de poser un choix, première grande décision de notre vie pour la majorité d'entre nous, et pour d'autres simple continuité du cursus scolaire parmi la multitude de possibilités qu'offre le système éducatif français.
Si Revie s'est vue refuser l'entrée au couvent et Giovanni s'est tourné vers la prêtrise, c'est que leur principale - ou unique, pour Giovanni - motivation, était d'avoir accès à des études gratuites.
Aujourd'hui la cinquantaine, Giovanni nous raconte lors de sa présentation comment les jeunes l'ont vu pleurer de joie, lors d'une remise de diplôme clôturant une formation donnée par une entreprise partenaire pour les Jeunes et les coachs. Si ce genre de document a toujours un effet certain sur les Jeunes, il peut bien en avoir sur aussi sur les coachs, ont-ils pu se dire. Mais ils ne se doutaient pas que Giovanni venait, en même temps, de recevoir par mail le diplôme achevant ses 30 années de travail et de persévérance, avec tout le soutien de sa femme Maricar. Giovanni avait fait des études sa priorité dans la vie et c'est aujourd'hui, à cinquante ans, qu'il a atteint son objectif.
Fils d'une mère professeur et d'un père agriculteur, il a tout fait pour fuir le modèle parental espérant accéder à une vie meilleure, plus facile que celle que ses parents lui ont offerte. Après avoir accompagné les agriculteurs cambodgiens ces 3 dernières années, il est depuis un an coach au centre de Payatas avec sa femme Maricar. C'est avec un brin d'humour qu'il nous confie qu'il a tout tenté pour s'éloigner de ce que lui avaient proposé ses parents, mais qu'on ne peut finalement pas fuir ses origines, qui sont pour lui l'agriculture et l'éducation. Il éprouve d'ailleurs aujourd'hui un profond désir de retour à la terre avec en tête l'idée d'allier ses deux vocations en coachant des jeunes par le travail agricole.
| Giovanni, 50 ans et fraîchement diplômé |
Alyssa, ma co-coach à Taguig, a d'ailleurs fait de l'éducation sa principale cause parmi les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) défendus par les Nations Unies, où elle rêve de travailler un jour. Journaliste de formation, elle s'est tournée vers LP4Y car sa fibre sociale était plus forte que l'ambition de ses parents de la voir faire un métier prestigieux à la sortie de ses études. Elle n'en rêve pas moins de prolonger ses études à Oxford dans le but de trouver un jour le poste de ses rêves aux Nations Unies. Outre le prestige accordé à la célèbre université Anglaise, la gratuité du master qu'elle vise ne le rend que plus difficile d'accès. Travailleuse, consciencieuse, et animée par ses convictions, la voir arriver à son but ne serait pas une surprise pour moi.
| Alyssa "If your dream does not include others, they are not big enough" |
| Les 17 Objectifs de Développement Durable |
Parmi les volontaires philippins non cités précédemment, beaucoup ont pour projet de devenir psychologues afin de sensibiliser les populations et défendre la cause des abus sexuels chez les femmes et les enfants. L'éducation, sous tous ses angles, plus que n'importe quelle autre cause, rassemble nos collègues philippins. Ils en connaissent la valeur et l'importance dans la hiérarchie des facteurs de développement.
Erick, l'autre jour, témoignait devant les jeunes du centre de la difficulté de se faire accepter comme tout le monde dans sa nouvelle entreprise, si accueillante soit-elle (partenaire de longue date d'LP4Y et aux valeurs communes). "Don't give this urgent task to him, he is a LP4Y Youth", nous rapportait-il.
Je me souviens de mon collègue et supérieur chez Vinci, Mohammed, issue d'une cité de Saint-Ouen. Ayant apporté la dureté de la cité avec lui sur son lieu de travail, il a d'abord fait fuir sa première équipe, qui a renoncé à travailler avec lui à cause de son tempérament, puis, transféré sur mon chantier, il me faisait part d'une anecdote révélatrice : alors que notre maître d'ouvrage "fanfaronnait" en racontant ses études à l'ESTP, Mohammed usa de toute sa concentration pour masquer son triomphe lorsqu'il dû répondre à notre client qu'il avait fait Centrale Paris. Un moment que Mohammed de manqua pas de me raconter. J'ai pour ma part adoré travailler avec lui, même si Albane se plaignait que je me mette à parler comme lui.
Chez les Jeunes, le diplôme a une valeur inestimable. Lors de nos sessions de recrutement, nombreux sont ceux qui mentent sur leur niveau d'éducation. De notre côté, il est impressionnant de voir à quel point le niveau d'étude d'un Jeune est déterminant sur son taux d'intégration, au sein du groupe comme dans son futur boulot. Le grade (1 à 12) est incroyablement indicateur de leur future intégration.
"Honte, humiliation. Dans toutes les langues de la terre, ces mots sont employés par les plus pauvres (ou les plus exclus) pour signifier leur sentiment de n'être aujourd'hui comme hier comptés pour rien." (Les pauvres sont nos Maîtres). Des chantiers parisiens aux bidonvilles philippins, en passant par notre aventure indienne, c'est la différence d'accès à l'éducation qui m'a toujours le plus donné ce sentiment d'injustice.
Depuis la pandémie, de nombreux jeunes préfèrent venir à LP4Y plutôt que de continuer l'école, qu'il faut désormais suivre en ligne via un téléphone et une connexion internet de mauvaise qualité. Ils veulent à tout prix trouver un travail pour aider leur famille, ou tout simplement avoir des "training" en face à face dans ce pays où les écoles sont fermées depuis 2 ans. Mais je dois parfois encourager les jeunes à retourner à l'école plutôt que nous rejoindre, tant la différence de niveau est flagrante selon le nombre d'années qu'il y ont passé. On a parfois le sentiment que le savoir et l'éducation sont la seule véritable issue quand on les écoute raconter la difficultés qu'ils ont à s'intégrer. LP4Y a vocation à enseigner les codes du monde professionnel et les préparer au monde "civilisé". Le but ultime est de trouver un travail décent, pour ceux qui n'ont d'autre choix que de travailler pour survivre, mais seule l'éducation leur permettra de s'extirper de l'exclusion dont ils sont victimes.
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